dimanche 10 mars 2013

Lettre Morte

Le dimanche 10 mars 2013,
La Saline Les Bains

La chaleur se fait plus douce, le vent revient sur la côte, caressant le sable.
La marée m'a paru plus basse qu'à l'ordinaire sur la route.
Les flancs noirs découverts, l'écume qui éclate.
Le parfum d'algues et de sel deviné derrière le carreau.
Le dernier bus pour retourner là où j'ai marché de longues heures sur la plage.
Cet océan que j'ai mis à distance pour sentir d'avantage la puissance rocheuse des hauteurs.
Ce vertige fou depuis les sommets.
C'est étrange de retrouver le soleil qui s'efface dans l'eau.
Comme un éclair ravivant les images floues des carapaces dans les transparences et les bleus d'abysse.
Un jet de baleine à bosse, le petit tout contre la mère.
Ma petite contre moi, encore ensommeillée, poisseuse de sueur.
Je me sens loin.
Je respire mal.
Ce matin, je cherche le ventre de la terre derrière les nuages.
Il n'y a que ciel lourd, chargé, gris et lumière.
Une sorte de stagnation, nimbée par la pression atmosphérique...
la fraicheur ne descend pas.
La pluie semble me suivre pourtant, à chaque fois que je reviens, en bas.
Les cocotiers ont l'air différent, plus secs, plus bas.
Je lis la tristesse qui se penche dans les branches des filaos.
A Bras Sec, entre les pins et les cryptomérias, ils chantent forts.
Haut et clair.
Je m'inquiète de savoir si le papillon a quitté le stade de chrysalide dans ma maison.
Une angoisse soudaine.
Pris entre les murs, sans connaître le vol à l'extérieur, mort par la faim.
Triste.
Je déteste l'idée des ailes coupées, du souffle éphémère pris au piège, aussi court soit l'envol.
J'ai chaud, je respire mal.
Comme prise à la gorge par la torpeur ambiante où tout semble évoluer au ralenti.
Tellement fluide le petit matin, en ouvrant la porte, pour inonder la maison du bruit changeant de l'eau qui descend au dehors.
Fluide et calme.
Nu le son.
Dépouillé des pollutions urbaines.
Rempli de chants d'oiseaux, de craquements, d'insectes camouflés dans les hautes herbes.
Il n'y a plus que la robe rouge et noire du Cardinal pour me rassurer ici.
Tâche de feu dans les verts jaunis.
Encore l'amertume du thé, vert, dans la bouche.
Les doigts glacés de l'eau où j'ai trempé mes mains.
La nuque. La tête.
Le geste répété qui va chercher la pureté pour se sentir inonder.
Reprise dans le ventre de la mère.
S'écouler, laisser s'écouler tout ce qu'il y a derrière.
Etre là, assise, sur un rocher couvert de lichen.
Les paupières encore lourdes de la rosée sur les feuilles de songe.
Jeu d'enfant du matin, la petite main dans la mienne sur le chemin de l'école.
Elles sont longues les heures.
Le temps suspendu entre les branches.
Les minutes dissolues dans les courants qui lèchent la pierre.
Parfois, il me manque le frère.
Parfois.
Et puis j'oublie.
Je m'enfonce dans les bras de la forêt.
Je disparais dans le corps des ravines.
Le moindre souffle de vent m'emporte aux sommets.
J'oublie.
L'adresse. L'heure. L'histoire.
J'oublie jusqu'aux mots.
J'ai rendez vous avec les nuages.
Les étoiles.
Les brumes soudaines, les pluies fines et les trombes d'eau.
Une jungle avide à moi seule.
Sans poison, sans dangerosité.
Si ce n'est la perte de repère, à contempler un sommet du monde, à sentir trop fort l'espace qui semble de plus en plus vaste, à vouloir ouvrir les bras, me lover, disparaître.
Peut être que le frère ne me manque plus.
Est ce que j'en ai vraiment eu besoin un jour?
Et puis...
Est ce que je saurai faire encore?
Le lien étroit.
Suffoquer.
Torture que d'imaginer un jour quitter mes solitudes végétales.
Mon repos minéral et toutes les prières que le feu me murmure.
Malaise en pensant à l'agitation.
Tout passe.
J'ai toujours été sauvage.

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