lundi 11 mars 2013

Fin de la saison des pluies - Un bénitier rempli de sable rouge, noir... blanc

J'ai toujours aimé le parfum de la terre humide après la pluie.
Il y avait un fond de bitume chaud, tout juste l'éclat de glissement des pneus sur la route fumante.
Enfant, je me rappelle des chemins de sable creusés par les pluies violentes pendant les cyclones.
J'étais fascinée par ces trous un rien boueux, chargés de poussière, à l'eau opaque qui formait comme un miroir quand rien ne venait troubler la surface.
Un peu plus loin, la houle perdait en force après plusieurs jours de vagues qui dévoraient le rivage.
La mer recouvrant les petits bassins de lave noire où je m'amusais à jouer de longues heures sous le soleil.
L'hiver rentre doucement, la chaleur se fait moins mordante.
Le ciel me pesait ce matin, et puis, au fil des heures, des masses blanches, grises, sont venues s'amasser par grappes au dessus de ma tête.
Une sorte de silence m'agrippe là haut lorsque je me laisse porter par le souffle qui pousse doucement les nuages.
Les premières gouttes de pluie sonnent toujours comme une délivrance.
Un tintement léger, les feuilles effleurées, les feuilles pliées, les oiseaux qui s’ébrouent, les odeurs qui remontent de la terre.
Les verts ont l'air plus tendre, plus profond.
Juste le temps d'aller chercher le pain et j'ai eu la sensation de remarcher dans mes pas de petite fille, d'adolescente, en quelques minutes.
Sur le chemin, le parfum puissant des goyaves tombées sur le sol, un rien éclatées, mûres, délaissées un temps par les oiseaux.
L'océan ramène tellement de choses sur le rivage...
Il y a quelque chose de mat, comme un silence blanc, tapis entre les branches, quelque chose de statique après la pluie.
Elle a été légère, suffisante pour rafraichir l'air, mouiller le sable et faire naître des variations superbes jusqu'à l'horizon.
J'ai marché comme la petite fille qui sortait de l'eau après s'être laissée roulée par les vagues, les yeux fermés, sous la surface.
Là, en boule, dépliant le corps au rythme des mouvements de l'océan.
Petits pas pesants.
Je sens mon regard d'enfant lourd, grave, perçant.
La petite main saisissant une porcelaine entière trouvée entre les grains de sable.
Il y avait tellement plus de coquillages avant.
Il y avait... le goût de l'eau infiniment douce après des heures dans le sel qui finit de former une peau cristalline sur la première peau.
Je ne crois pas avoir tant changé dans le fond, sous mes craquelures salées.
La distance entre moi et le monde.
Le reste du monde.
Les gens.
Toute attentive, pétrie par cet océan.
Nue dedans.
Comme là.
Le bonheur intense du vent.
Du souffle du vent.
Le large.
L'envie d'ouvrir les bras et de me laisser porter au dessus, loin, perdue entre deux nappes de nuages.
Dévaler sur la colline, gouttes par gouttes, disparaître.
A chaque pas, mon propre souffle emporté.
Venu de quelque part en moi, peut être plus loin que ça, un air.
Un air d'avant.
Un murmure.
Un fredonnement.
Une mélodie comme une prière.
Rien qu'un souffle.
Un souffle transperçant du dehors depuis le dedans.
Aspirer de l'air.
Expirer de l'air.
Comme une prière.
Avant même le son, la lettre, le mot.
Le sens est là pourtant.
Respire.
Je me vois encore, je me sens... différente, à l'écart, solitaire.
Entre les livres et les marches longues.
Les cheveux longs pour me couvrir.
Les relever pour travailler.
Le corps mal à l'aise, rassuré par ces seins juvéniles qui refusent de changer.
Cette peur d'être femme, sous les regards, cette peur de savoir déjà, je suis femme.
Et l'homme qui ne convient jamais.
Le manque de maturité autour.
Le goût de la solitude pour ça.
La distance toujours.
Je suis là, toujours.
Dans le souffle. Par le souffle.
A l'intérieur d'un silence niché au cœur d'une multitude de sons.
Les vagues fracassantes. Les oiseaux derrière. Les éclats de rire d'enfants.
Tout disparait, dans le silence blanc.
Une plume de Martin Triste sous mes pas, et je me rappelle une certaine foret, une envolée de corbeaux.
Je souris en me rappelant, malgré moi, j'ai toujours préféré la Nature aux hommes.
J'aime les hommes qui se perdent pour mieux se trouver dans la Nature.
Les plumes, les masques, les peaux.
Quand ils font tombés les armes.
Ceux qui n'en reviennent jamais.
Ceux qui trébuchent, hésitent, muent par le désir d'en dire, d'en partager.
Mais l'on est surement que maladresse, gaucherie, et cruellement enchainé.
Insurpassable et indicible Nature.
Le silence blanc est le plus fort.
Déjà depuis l'en dedans.
Avant même de naître.
J'y pense parfois. Avant moi. Avant ce qui fait moi. Les vies que je porte, que je suis, par qui je suis.
Je ne peux pas m'empêcher de respirer profondément pour ça.
Fascination pour les quatre coins du monde où on a cherché à dire, à désigner, comme pour mieux maitriser, la puissante Nature.
Les signes, les traces, les couleurs, les codes.
Ici, c'est tellement jeune.
Le Temple est la lave elle même.
Le Temple est l'océan qui se soulève.
Les vents orageux et les nuages dispersés.
Le Temple est caché, morcelé, dans une forêt des bouts du monde.
Et j'aime parler à la pierre...
J'aime croire au feu dans mes mains, aux couleurs qui courent sous ma peau.
J'aime être la mousse, le lichen sur la pierre, en lézardes glacées prêt de l'eau.
J'ai cru pouvoir apercevoir un homme caché derrière un arbre, plus qu'au creux d'une vague.
Je suis femme des hauteurs.
Jusqu'aux scories rouges, au sable brûlant sous le vent.
Là où il n'y a plus d'arbre.
Là où assise je ne parle qu'à la pierre, aux couleurs de la pierre, au feu et au vent.
Entre les couches de noir et noir plus noir encore.
Au creux des porosités, dans les bulles d'air, les transparences de verre.
Les pentes, les cailloux.
Les craquements.
Les crissements.
La pierre.
Le sang et la poussière.
L'homme doit être quelque part.
Dans la poussière.
Ceux que je devine sont assis et siègent à se fondre là où ils se trouvent.
Je les ai toujours regardé de loin.
Loin dedans.
Loin dans les hauteurs.
Ils sentent la poussière du sol, la jungle, le riz et le coton.
C'est difficile à dire.
Ils sont nuages.
Plus loin encore.
Et moi, moi j'ai toujours disparu dedans.

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