dimanche 30 mars 2014

息 - Souffle (coeur bambou)




Des traînées d'or brûlent, partout sur les collines, poussées par le vent. C'est le milieu de l'après midi, l'ombre avance, la lumière devient plus orangée, en vibrations métalliques sur les herbes hautes.
Les voitures roulent encore sur l'asphalte qui disparaît dans le tournant, plus haut.
Une fine transpiration colle contre sa peau le tee-shirt d'homme qu'elle porte. Le col coupé laisse une de ses épaules nue, la nuque livrée au soleil. La bretelle de son sac à dos descend sur son bras un peu moite et tombe mollement en faisant s'éparpiller les graviers. Elle en sort une bouteille pleine de camomille qu'elle avait préparé en prévision d'une après midi entre 4 murs.

Ses yeux s'allument lorsqu'en buvant à longs traits, elle repense à la carpe dorée qu'elle observait dans l'aquarium quelques mètres plus bas, en s'arrêtant sur la route. Elle sourit toujours aux pousses de bambou en entrant dans la jardinerie qui dissimule aussi une animalerie. Elle ferme un moment les paupières sur les chants mêlés des oiseaux.
Un moineau du japon lui tournait le dos, laissant deviner sa nuque rose déplumée. Dans la cage du dessus, un mandarin blanc poussait du bec l'anneau jaune accroché à l'une de ses pattes.
Elle expire d'un coup, et longe le grillage qui s'enfonce dans la végétation.
Elle passe à travers un trou dans les mailles métalliques et quitte la circulation.

Le site est fermé au public, en principe. Elle marche dans ses pas d'enfant vers la première canalisation qui amène l'eau à la station d'épuration, pour la distribuer à toute la ville, en contrebas.
Le premier canal est à sec, un arbre brisé barre la route. Elle l'enjambe en suivant le son de l'eau du second canal qui circule en bas. Elle emprunte un sentier de terre où quelques papillons volettent entre les chokas. Les arbres se resserrent au dessus de ses pas dans la poussière. Elle distingue le canal moussu autour duquel la végétation se referme.

Elle s'arrête à la fin du sentier, l'eau claire à ses pieds. Elle hésite, s’accroupit. Ses chaussures sont déjà dans ses mains. Elle se redresse et traverse d'un bond.
Entre le ciment et la poussière, elle s'engouffre dans la dentelle d'ombres. Elle suspend sa course lente pour saisir des fleurs fraîchement tombées au sol, de longues coupes minces et blanches à la corolle violette. Elle a soulevé son tee-shirt pour les porter sans les abîmer. Elle frisonne doucement. Le bruit de la cascade couvre de plus en plus le courant continu qui s'en va à côté d'elle.

Elle s'arrête au pied des bambous; son cœur se fend, encore, autant de fois que la surface verte a été lacérée et jaunie de noms et d'autres inscriptions. D'un bras, elle s'enroule autour d'une large tige et saisit une mue végétale tombée dans la pente jonchée de feuilles mortes. Le velours noir piquant s'accroche sur sa peau par endroit.
Elle reprend la marche, et fouille dans la falaise qui apparaît entre les branchages, à la recherche des paille-en-queues. La végétation est plus clairsemée, de gros rochers polis au rythme des crues se laissent voir. Le canal longe le passage naturel de la ravine, peuplée de songes aux larges feuilles pointues tanguant au bout de leurs longues tiges.

Avant de pouvoir distinguer la cascade, des bananiers ouvrent un autre petit sentier caillouteux vers une masse rocheuse où se dresse des bambous, surplombant les petits bassins qui s'enchaînent, au milieu de la ravine.
La seule tache jaune qu'elle discerne est le bec d'un martin triste sautillant entre les rochers. Elle quitte le canal, pourtant arrivée à la fin, et suit l'oiseau, de rocher en rocher. Elle passe doucement une main sur les chaumes, ramasse un morceau de bambou mangé par les insectes mais encore solide, parfait pour recevoir de la calligraphie. Elle glisse la tablette dans son sac et passe derrière les bambous.

Elle s'assoie sur un rocher, au pied de la falaise où elle domine de 2 mètres le plan d'eau suivant. Elle regarde un chaume immense en bas, dans un creux de roches, tombé du petit bosquet, là où l'eau cascade et se calme pour mieux redescendre.
Elle pose la mue doucement piquante sur la roche et y dispose les fleurs en éventail, corolles vers l'extérieur. Elle regarde la lourde et longue tige, sans doute projetée par le dernier cyclone en bas, en pensant à ses pieds nus sur la surface lisse. Elle le taille dans le sens de la longueur en esprit, cherche dans une idée de circulation, entre l'eau et la plante des pieds, en projetant vers le ciel... puis retourne au canal en saisissant une tige fine de la longueur de son bras dans l'eau.

Des gens parlent, rient, des enfants crient. Ils sont là mais pas vraiment. Elle les voit sans les voir.
Elle a quitté son sac, ses vêtements et les jambes dans la bouche du canal, elle plonge les mains en coupe dans l'eau glacée pour la porter à sa nuque, son ventre, son visage.
Elle cherche dans le ciel les oiseaux blancs qu'elle aperçoit tournoyer au dessus des bambous au milieu de la ravine.
Elle marche encore un peu et prend sa respiration. Elle s'enfonce dans le bassin noir. L'encre circule dans son sang, autant de gouttes que de graines dans les tiges de bambou du kayamb. Elle sent la pluie dans tout son corps.
Quelques brasses et elle se redresse dans la vase pour rejoindre la ravine, en suivant le courant entre les pierres.

Elle pousse doucement les tiges des songes, en secouant un peu ses doigts au dessus des feuilles, laissant perler quelques gouttes qui glissent en reflets argentés à la surface des feuilles vert sombre et violettes.
Une petite libellule prune frôle l'eau devant elle. Elle descend plus loin, quitte les voix derrière elle et s'attache de plus en plus à la pierre. Elle vieille à ne pas briser les toiles d'araignées aquatiques en suspension à fleur d'eau. La libellule est toujours là, devant elle, une autre, semblable la rejoint.
Elle se demande si elle aurait souhaité sa présence à lui.

Elle s'étend de tout son long dans la faible profondeur sur les galets. Elle ne veut rien.
Elle laisse tout ce rien prendre de la place en elle.
Le froid pénètre sa peau, son corps disparaît dans la fraîcheur liquide.
Tout ce vide en elle, tout ce vide autour d'elle.
Son corps n'est plus qu'une infinité de minuscules gouttelettes glacées.
Elle s’unit au minéral, l'étreinte sans le toucher, au delà du toucher, dans la profondeur de la surface qui s'efface. Toujours là, en train de s'en aller.
Elle s'assoie, tête en arrière, en perdant son regard dans le vol des paille-en-queue.
Doucement, elle se relève, vivante, et remonte le courant calme.





Sur le chemin des Cormorans











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