jeudi 27 mars 2014

旦 - Bardzour


Bol à pelote (et aiguilles en Bambou)
de MuddyHeart sur Etsy








La nuit s'en va doucement par la fenêtre entrouverte.
Un chemin de galets de rivière - ramassés la veille, lisses, gris - se devine sur la table.
Elle dépose son verre d'eau, saisit une des formes polies, la fait rouler, la repose plus loin.
Les cheveux en pagaille, elle avance en caressant du bout des doigts le bord du bois de la table, sa main retombant dans un balancement prêt de son corps, tout au bout.
Les étoiles s'effacent, grignotées par les premiers rayons du soleil et le bleu du ciel qui s'étend.
Elle regarde à travers la vitre en faisant consciencieusement de la buée.
Elle pose un doigt au centre du cercle de gouttelettes, juste le temps de sentir le contact froid, hésitante.
Elle trace une ligne verticale du centre jusqu'en bas. La pulpe du doigt se détache de la paroi. 
Ses mains descendent jusqu'à ses pieds, elle commence à remonter lentement les bas gris à grosses mailles sur ses jambes. Elle passe sa main dans ses cheveux, sur sa nuque.
Elle écoute son souffle dans le chœur des oiseaux qui s'éveillent.
Elle pose les doigts dans l'embrasure, ouvre en grand et se glisse sur le rebord de la fenêtre en se hissant.
Une jambe ballante, adossée dans le coin, elle déplace son regard entre les couleurs rose orangé, l'indigo, et les étoiles qui se voilent de bleu azur.
Elle cherche encore la nuit aux pieds des arbres.
Elle fouille les racines encore dans l'ombre, en inspirant pour trouver l'odeur de mousse et de terre.
Les branches s'embrassent, se quittent, se plient, traversées par de longs souffles de vent.
Son corps à elle aussi penche, lorsqu'elle replie dans ses bras le reste de chaleur de la chambre.
Tête sur les genoux, elle fait crisser entre ses doigts la chemise de lin épais écru trop grande qu'elle a enfilée, assise sur le lit.
Tout juste un regard entre les draps, en écoutant son souffle et elle l'a quitté, un peu.
Maintenant, elle attend que l'eau bouille en pensant déjà à s'étirer sous les arbres.
Peut être pour le quitter un peu plus.
Elle hésite. Porte de nouveau la main à sa nuque, regarde le bord de mur face à elle.
Elle quitte le cadre en faisant craquer le parquet jusqu'à la cuisinière.
De petites bulles remontent à la surface dans la casserole.
Elle éteint le feu.
Encerclant une tasse en grès, sur le plan de travail, un pot de miel de longanis, une petite cuillère, un pot de verre à moitié rempli sur lequel on peut lire Tilleul.
Le bruit mat à l'ouverture. Le bruissement doux des fleurs sèches. Quelques pincées dans la tisanière posé un peu plus loin.
L'eau brûlante coule en long filet.
L'odeur caressante se répand pendant qu'elle lève les bras, rejette la tête en arrière, s'étire en regardant ses mains.
Elle prend le temps de sentir la nuit quitter son corps, en savourant la brume de petit jour qui l'habite.
Elle regarde un peu de vapeur s'élever.
Lentement, la cuillère tourne. Elle la pose.
Elle fait couler le liquide dorée dans la tasse, reprend la cuillère, étire un filet de miel, l'enroule autour du métal puis le dissout en tournant, lentement, en regardant le jaune foncer à l'intérieur du grès.
Les doigts emmêlés autour de la tasse, elle laisse monter la chaleur sous sa peau.
Elle attend, debout, un instant devant la table, les yeux posés sur les troncs moins sombres dehors.
Elle dépose la tasse, au plus prêt de la fenêtre.
Elle se penche, un moment, ferme les yeux, arquée, et laisse la fraîcheur du matin empourprer ses joues.
Elle reprend la tasse dans ses mains, souffle un peu dessus.
La surface se trouble. Elle souffle encore.
Elle repose la tasse, et avance aussi vite qu'elle le peut sans faire de bruit.
Il dort. Elle s'avance, s'assoit au sol. Il lui tourne le dos comme ça.
Elle soulève le drap, le plie plus bas.
Elle inspire l'odeur poudreuse de coton un rien acide.
Elle approche une main à la naissance de la nuque.
Le bout des doigts.
La paume à fleur de peau.
Elle descend dans un mouvement léger, sans appuyer, en apesanteur, le long de son dos.
Elle sent la chaleur changer, donne celle qui la quitte, s’imprègne de celle qu'elle effleure.
Il dort.
Elle ramène ses mains vers elle. Elle inspire.
Elle regarde le corps endormi en goûtant la tiédeur nouvelle de ses paumes qui s'étirent dans ses doigts.
Elle se relève en faisant bruisser un peu le bois et sort.
Elle embrasse de nouveau la chaleur de la tasse.
Elle boit la première gorgée, en remontant dans les ombres des arbres qui s'étendent du bois jusqu'à la maison.



Le souffle du vent murmure dans les feuillages. Je déplies mes paumes.




 fade04 de Fabio Selvatici






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