samedi 29 mars 2014

竹 - Kayamb

 Nuage de bambou de HortNouveau sur Etsy






L'eau coule dans l'évier.

Le morceau de savon vert tendre est plein de bulles.
Elle descend de ses poignets jusqu'au bout de ses ongles, en appuyant dans les paumes et frotte ses doigts, l'un après l'autre. Elle passe ses mains dans le filet clair, en faisant glisser la mousse. Elle remonte la fraîcheur sur ses avant-bras, tourne le robinet. Elle reste comme ça, en suspendant ses bras, laissant goutter l'eau dans la lumière, avant de saisir le torchon accroché au niveau de sa taille.
Le tissu s'imbibe un peu plus à chaque frottement léger. Elle le secoue. Le son claque dans la pièce.
Il ne reste qu'une odeur d'amande.

Elle a préparé une casserole déjà pleine d'eau.
Elle fait rouler le morceau de songe frotté, débarrassé de la terre, sur le plan de travail. Elle le prend dans ses mains, les passe sur la surface qui accroche un peu. Elle pense le poser dans l'eau, puis saisit un couteau. Elle commence à gratter, un peu. Elle épluche aussi prêt de la surface que possible. Le couteau glisse, faisant ressortir le gluant de la racine qui enrobe doucement ses doigts. Sur la planche de bambou elle pose la racine nue après avoir pousser les épluchures avec la lame. Elle taille des tranches épaisses, régulièrement, en traversant la chair blanche piquée de violet, d'un mouvement sûr du poignet. Elle saisit 5 rondelles et les dispose dans le panier de bambou adapté à la casserole.

5 pétales et un cœur, vide.

Elle observe l'espace entre les fines lattes, cherche jusqu'à l'eau en dessous. Elle se perd un moment entre les pierres noires de la ravine, à l'ombre des vieux bambous. Elle cherche le courant d'eau glacée et le murmure sifflant des feuilles pointues. Elle tourne la tête et regarde son sac en jacinthe d'eau, les petites fleurs et les poissons blancs qui nagent sur le bleu sombre du tissu, sa capeline molle, tressée, posés sur la table.
Elle saisit le couvercle de bambou.

Elle enferme la fleur.

Elle reprend le couteau et quadrille les tranches restées sur la planche. Elle s'essuie les mains sur le torchon. Elle découvre la casserole, dépose la fleur. Elle saisit le petit pot de graines de cardamome.  et les fait glisser, de haut en bas, de bas en haut, en renversant doucement le contenant. Elle ouvre le couvercle, et cueille une graine après l'autre, en les faisant rouler entre ses doigts. Elle les porte à sa bouche, les ouvre entre ses dents, et les jette dans la casserole. Elle prend à pleines mains les cubes de songe et remue doucement l'eau encore transparente, en frottant un peu sa peau pour ôter le gluant entre les cosses de cardamome qui flottent.
Elle retrouve le contact du tissu, éponge ses mains.
Elle plonge un doigt encore un peu humide dans le sucre roux de canne, gratte sa peau. Elle pousse un peu la gousse de vanille et secoue doucement le bocal au dessus de la casserole.

Une petite colline de cristaux.

Elle allume le feu, pose la casserole, hésite un œil sur les étoiles de badiane, puis ferme avec le panier de bambou.
Une paire de baguettes accolées surplombent un paquet de farine de riz gluant à moitié entamé, à côté d'une jatte en terre cuite. Elle joue avec l'élastique entourant le paquet, puis verse la farine dans la jatte qu'elle a rapproché d'elle.
Avec les doigts, elle forme un creux au sommet, replonge sa main dans la poudre blanche et sent son corps palpiter dans l'eau de la rizière. Elle reforme le creux. Un doux crissement s'échappe de ses paumes blanchies. Elle s'époussette avec le torchon, qu'elle repose en boule sur le plan de travail.

Les derniers longanis de la saison la regarde depuis le vanne au centre de la table.

Le vent d'hiver est rentré en même temps qu'elle du Sud sauvage cette année. Ses pieds ont quitté la plage de sable blanc où des poissons morts se sont échoués par centaine. Depuis la baignade dans le bassin de lave, elle n'est pas retournée à l'océan. Elle garde sous ses pieds les galets noirs, bruns, rouges, les quelques morceaux de coraux polis, en cherchant encore l'odeur profonde d’embrun, de moules entre les algues accrochées aux rochers.

Les cocotiers estropiés depuis le dernier cyclone bruissent avec la houle grossissante. Les noix lourdes murissent sous les lames jaunies.
Elle s'assoie, se ressert un thé et caresse la capeline souple. Ça n'est pas un tressage en vacao mais le vent l'appelle encore à l'intérieur, depuis les longues feuilles vertes, les troncs tordus.
Elle boit une gorgée en pensant au paquet de nouilles de riz qu'elle a oublié, là bas. Les algues séchées aussi. Et puis la moitié de jacques mûr dans le frigo. Un peu de sa présence encore dans le petit sac de papier contenant de l'aubépine, enfermée dans le placard du bas de la cuisine.

Elle décroche un longani des branches et l'épluche. Elle le porte à sa bouche dans une gorgée de thé.
La douceur du fruit roule sur sa langue entre l’âpreté des feuilles et la puissance du jasmin.
Le coeur au bord des lèvres.
Elle fait glisser vers elle un filtre et une feuille de papier fin, déroule le cordon autour du petit sac de toile brodé qui cache son tabac et roule une cigarette fine.
Elle craque une allumette et prend la première bouffée.
Elle rejette la tête en arrière, une main appuyée sur le banc, regarde les volutes grises s'échapper de sa bouche. Elle se redresse en portant sa main dans ses cheveux. Elle entortille une boucle qu'elle trouve déjà trop longue. Elle se recroqueville un peu.

Elle se lève, passe la main sur sa nuque en repoussant les cheveux courts vers le haut du crâne. Elle avance vers la cuisinière, son regard accroche la paire de ciseaux qui pend sur le mur.
La capeline a eu raison d'elle, quelques centimètres, quelques jours. Elle sourit, entortille une mèche autour de son doigt.
Elle projette le prochain coup de ciseau, la nuque nue.
La cigarette grésille dans le cendrier coquillage.

Elle tourne le robinet et fait couler l'eau sur ses mains en les massant un peu.
Dehors, la houle forcit. Depuis la casserole, on devine de petits bouillonnements. La vapeur parfumée monte quand elle ôte le panier de bambou. Elle le dépose et saisit une fourchette qu'elle pique dans un cube de songe. Le liquide a épaissi, un rien sirupeux, passé au parme, rougi. La texture un peu farineuse fond dans sa bouche.
Elle éteint le feu, prend une assiette sur l'égouttoir et la passoire sur le crochet qu'elle pose au dessus de la jatte. Rapidement, elle verse le contenu de la casserole, attrape la passoire, y pique la fourchette et glisse le tout sur l'assiette en saisissant les baguettes.

Elle commence à tourner les baguettes dans la masse qui s'agglutine, ramenant la farine au centre au fur et à mesure. La poudre blanche change de couleur, un rien translucide. Elle soulève la masse, racle les bords de la jatte, soulève encore. Elle finit par extirper les baguettes en ôtant la pâte collante avec les doigts.
Elle met un peu de farine sur sa paume ouverte, passe ses mains l'une contre l'autre, la pâte roulotte au bout de ses doigts. Elle approche la pulpe de la masse chaude et presse doucement, la tourne, fait tomber en pluie la farine, un peu, et enrobe la pâte.
La texture est aussi douce que l'odeur qui se dégage en même temps que la chaleur.
Elle étire la masse qui tiédit, lentement, en blanchissant ses paumes lorsque la pâte de riz reste sur sa peau.

Elle ôte les mains de la jatte et inspire, profondément. Elle prélève une grosse noix de pâte qui résiste un peu, elle savoure la légère résistance élastique. Entre ses paumes, une boule prend forme, se refroidit encore, devient plus lisse à chaque mouvement. La sphère glisse sur un plateau en bois fariné et s'affaisse un rien, reposée.
Elle épuise la pâte, jusqu'à en faire de petites perles, formant des gouttes qu'elle dispose en cercle, par 5, en laissant les fleurs finir d'apparaître toutes seules.

La jatte est vide.
Elle la pose dans l'évier, la remplie d'eau fraîche et plonge ses mains tièdes à l'intérieur, en quittant la dernière caresse dans le riz qui adoucie sa peau.
Les mains humides, elle verse dans l'assiette le contenu de la passoire qu'elle plonge ensuite dans la jatte. De petites gouttes apparaissent sur ses pas jusqu'à la table où elle décroche un second longani. Elle dépose l'épluchure sur la table, et retourne à l'assiette en faisant rouler le fruit sur sa langue.
A travers la vitre, elle observe les moineaux, fourchette à la main, en écrasant consciensieusement les cubes de songe. Les oiseaux sautillent entre les branches, rassasiés après avoir becqueté la pile de galettes de sarrasin restées sur la table depuis le matin. Maintenant, ce sont les fourmis qui cheminent autour de l'assiette. Le gris avance dans le ciel. Elle espère qu'il va pleuvoir.











Blog Modern Hepburn
(à déguster)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire