Dans quel désert, dans quelle nuit de l'âme, un oiseau, l'oiseau a-t-il appelé le poète?
L'oiseau m'a appelé, je suis venu,
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J'ai cédé au bruit mort qui remuait en moi.
Puis j'ai lutté, j'ai fait que des mots qui m'obsèdent
Paraissent en clarté sur la vitre où j'eus froid.
L'oiseau chantait toujours de voix noire et cruelle,
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Plus tard j'ai entendu l'autre chant, qui s'éveille
Au fond morne du chant de l'oiseau qui s'est tu.
Une onde d'existence, une onde d'abord étouffée, puis plus saillante, traverse le poème. Elle monte, cette onde, du chant noir et cruel de la mort à un chant qui s'éveille à la vie, premier témoignage d'un oiseau tour à tour nocturne et solaire.
Le poème suivant a pour titre Le feuillage éclairé. Mais il ne s'agite encore que d'une lumière sonore,une lumière qui éveille des chants au coeur de l'homme:
L'oiseau dans l'arbre de silence avait saisi
De son chant vaste et simple et avide nos cœurs,
Il conduisait
Toutes voix dans la nuit où les voix se perdent
Avec leurs mots réels,
Avec le mouvement des mots dans les ramures
Pour appeler encor, pour aimer vainement
Tout ce qui est perdu.
L'aube touche ce coeur dévasté:
Tout commençait avec ce chant d'aube cruelle,
Un délivrant espoir, une vraie pauvreté.
Des clartés naissent après ce cheminement dans l'ombre, un hymne au feu est intercalé. Il faut sans doute développer en soi-même une sensibilité phénicienne pour reconnaître l'oiseau de feu sous les transpositions d'un chant qui dort et qui s'éveille. Mais dès que le mot Phénix est prononcé, on sait que l'être fatidique était là. Qui voudra vivre, dans la délicatesse de la nuance poétique, le Phénix, gagnera à relire cette suite linéaire de poèmes où le Phénix se forme vraiment dans le chant d'un poète. L'image poétique du Phénix est ici, en quelque manière, autonome. Voici le poème qui est au sommet de l'évolution littéraire, au long de laquelle s'est formé lentement l'oiseau miraculeux:
Phénix parlant au feu, qui est destin
Et paysage clair jetant ses ombres,
Je suis celui que tu attends, dit-il,
Je viens me perdre en ton grave pays.
Il regarde le feu. Comme il vient,
Comment il s'établit dans l'âme obscure
Et quand l'aube paraît à des vitres, comment
Le feu se tait, et va dormir plus bas que feu.
Il le nourrit de silence. Il espère
Que chaque pli d'un silence éternel,
En se posant sur lui comme le sable,
Aggravera son immortalité.
Ce poème a pour titre: L'éternité du feu. Le Phénix est justement le symbole d'une éternité qui vit.
Tous les poèmes que nous avons cités étaient préfacés par ce quatrain:
Que l'oiseau se déchire en sables, disais-tu,
Qu'il soit, haut dans son ciel de l'aube, notre rive.
Mais lui, le naufragé de la voûte chantante,
Pleurant déjà tombait dans l'argile des morts.
Qui a besoin de voir pour rêver trouvera énigmatique le Phénix d'Yves Bonnefoy. Qui a besoin de connaître pour imaginer ne suivra pas la ligne progressive des images. Il voudra qu'on lui donne une illustration "imagée" de la vieille légende. Il ne reconnaîtra pas que l'oiseau qui renaît de ses cendres est déjà marqué par le chant qui renaît du silence à chaque verbe nouveau. Faire du Phénix "le naufragé de la voûte chantante", c'est traduire en poème le destin de l'oiseau-soleil qui doit chaque soir s'ensevelir dans la nuit pour renaître à chaque aurore. L'oiseau qui "a chanté plus haut que tout arbre réel, plus simplement que toute voix dans nos tristes ramures", le Phénix, Yves Bonnefoy le fait vivre dans cet univers prodigieux qu'est l'univers du verbe, dans l'univers qui parle.
in Le Phénix, phénomène du langage
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